Précarité : briser le silence
Même à Crans-Montana, les fins de mois peuvent se révéler difficiles. La précarité existe, mais elle se cache, tout comme les bénéficiaires de l’aide sociale qui, anonymes, ne se révèlent souvent qu’au travers des statistiques.
Crans-Montana, station huppée et riche. Les hôtes qui y résident, dans de somptueux chalets, sont souvent très fortunés. Cette image occulte l’envers du décor, beaucoup moins glamour… La récente table ronde « Précarité, briser le silence, agir ensemble », organisée par Noloco Partage et animée par Jean-Marc Richard, l’a révélé. « Aujourd’hui la moitié des témoignages de La Ligne de cœur sont liés à la précarité, alors qu’ils ne représentaient que le 15 % il y a treize ans », souligne l’animateur bien connu de cette émission radiophonique de la RTS.
Ce constat est partagé par l’association Noloco Partage qui accueille, chaque semaine, 80 à 90 personnes des trois communes du Haut-Plateau, dans son magasin solidaire. Les bénéficiaires qui traversent une période difficile peuvent trouver de quoi manger gratuitement. Le magasin est approvisionné par les invendus de produits frais offerts par les commerces et par l’opération « Cartons solidaires » qui récolte des denrées non périssables. « Nous souhaitons aussi sensibiliser la population et les autorités aux situations de précarité », explique Jérôme Nanchen, président de Noloco Partage qui s’est réjoui de la qualité du dialogue instauré lors du débat.
Les communes du Haut-Plateau soutiennent cet effort. Éducatrice de proximité engagée par l’ACCM, Ronite Toledano, apporte une aide aux jeunes de 10 à 25 ans et leur entourage qui vivent des situations complexes. « Nous aidons ces jeunes en rupture qui décrochent et leur offrons un accompagnement dans les démarches et leur parcours de réintégration (formation, etc.) », explique la travailleuse sociale qui connaît la facette moins visible de l’économie régionale. Les secteurs de l’hébergement, services, commerces, offrent des emplois précaires, parfois à temps partiel ou payés à l’heure, dans l’intendance ou le nettoyage notamment.
FREIN BUREAUCRATIQUE
La table ronde a été l’occasion d’un témoignage poignant d’une mère de famille de quatre enfants qui a raconté les difficultés de vivre à l’aide sociale. La famille doit se priver de loisirs, cinéma ou camps de sports. Une vie de petits boulots l’amène aujourd’hui, à l’orée de la retraite, à se contenter d’une AVS minimale sans parler d’un 2e pilier inexistant…
L’ancien professeur à la Haute École de travail social et de la santé Lausanne (HETSL), Jean-Pierre Tabin, pointe du doigt le fait que beaucoup n’entreprennent pas les démarches pour obtenir des prestations auxquelles ils ont pourtant droit. « Ils sont rebutés par la complexité administrative des formulaires à remplir. » Interpellé, Mathias Reynard, en charge du Département de la santé, des affaires sociales et de la culture convient de cette difficulté. « Une solution que nous avons instaurée en Valais c’est l’automaticité de l’octroi des aides. Il en va ainsi, par exemple, des subsides de réduction de primes d’assurance maladie qui sont versés sans en faire la demande, sur la base de la taxation fiscale. Plus de 90 000 Valaisans en bénéficient », souligne le conseiller d’État.
Un pays riche comme la Suisse doit développer son filet social anti-précarité. Mais pour cela, il faut d’abord briser le silence sur une réalité trop occultée.
Légende photo : Riche en enseignements, la table ronde s’est tenue au Cinécran en novembre et a suscité un intérêt certain auprès du public présent. © Luciano Miglionico