
«Je m’offre la liberté de l’artisanat»
«Je m’offre la liberté de l’artisanat»
David Pasquiet vit par, pour et avec le chocolat. Ce passionné inventif s’ouvre à toutes les inspirations et ne manie que des produits avec une Qualité Q majuscule. Il va jusqu’à marquer de son exigence trois villages au Pérou qui lui fournissent une rarissime fève.
«En Suisse, parfois on n’ose pas ! », lance David Pasquiet, dans son laboratoire de Montana, entouré par Damien, Grégoire, Nicolas, Laetitia et Andrea. Avec eux, ce matin dès l’aube, il a mis la main aux moules, quatre heures à juste décorer les chocolats au mojito. Durant 2018, mine de rien, il a modifié dix-sept recettes sur la trentaine «basique» qu’adorent ses clients! Secouer le cacaoyer des habitudes, ça connaît notre chocolatier.
David ne se gêne pas non plus pour bousculer le calendrier. Là, nous transpirons encore dans l’été indien de fin octobre et son équipe sue déjà sur les pièces de Noël : 3'000. Autant dire qu’elle fournit du Père Noël en série… Il sait qu’en moins de trois semaines, les fêtes avaleront quatre tonnes de chocolat. Juste un petit carré de tablette face au rush de Pâques où, dès janvier, ils embraient sur 7'000 pièces. À leur rythme ! Finie l’époque où David dormait dans son atelier et trimait 20 heures sur 24 pour assurer passion et qualité. « Là, maintenant, je suis cool, je ne bosse que 12 heures », calcule-t-il.
Avec son personnel, il s’accorde du temps à la création, à la série limitée juste pour le fun des papilles. Il refuse de se laisser dépasser par les contraintes de production. « Cela serait se perdre dans un travail à la chaîne. Je m’offre la liberté de l’artisan avec du matériel très performant », continue-t-il. David cède aussi à sa perpétuelle curiosité innovante. « Un jour sans idée, ça n’existe pas. Comment cela me vient ? Une association comme le seigle avec la poire, cela me semble logique. Lorsque je découvre une grande table, je me demande ce que cela donnerait en chocolat ! J’ai les yeux qui traînent partout, je goûte tout, j’écoute tout… Du moment que l’on se passionne pour son métier, le reste suit. » simplissime et trop facile, à l’entendre. Cela arrive parfois qu’il se surprenne lui-même, notamment quand il conjugue betterave et cassis ou du coing avec une ganache de brioche. « Une première ! »,
souffle-t-il sans aucune forfanterie.
LA SAGA DE LA PORCELANA
Si David se montre perméable aux influences de l’inspiration, il existe une chose avec laquelle il ne transige jamais : « Je n’accepte aucun compromis avec la qualité du produit ! » La matière première provient du jardin d’une voisine (pour les courges), de fournisseurs valaisans (pour des abricots cueillis le matin sur l’arbre à Salins avant d’être travaillés).
David arpente son labo pour soumettre à votre palais d’autres doux trésors hors de nos frontières. Il vient de recevoir des oranges de Corse. « Le producteur ne livre que cinq chocolatiers au monde et j’en ai eu ! » Lorsqu’il glisse du balsamique dans une recette, cela sera le top du haut de gamme. « Il n’a rien à voir avec ce qui se vend dans les grandes surfaces. Le vrai balsamique AOP se trouve à Modène, en Italie, vieilli dans des fûts en bois de cerisier et vendu dans des petites bouteilles rondes. Celui que j’utilise a 25 ans d’âge. » On passe à la vitesse supérieure en 2017 avec la saga du Porcelana de Piura. « Ma démarche s’effectue avec des produits régionaux. Mais je voulais aussi créer MON identité sur le chocolat. » Une idée plus que précise tourne dans sa tête : la fève de Porcelana. « La maison Felchlin avec laquelle je travaille à Schwytz m’a évoqué son existence au nord du Pérou. Il s’agit d’une fève rarissime et autochtone. J’ai tout de suite dit que je voulais y aller ! Je suis parti sur place avec ma femme Virginie et ma fille. Nous sommes arrivés dans un village qui n’avait jamais eu de visiteurs occidentaux. Il n’y avait pas d’hôtel, le maire nous a laissé sa petite maison et il est allé dormir dans une grange. D’emblée, ils ont organisé une fête de trois heures et j’ai dû parler dans un micro, car ils n’avaient jamais non plus entendu la langue française… » Passé cet intermède folklorique, David a pu choisir de A à Z ses fèves comme leurs producteurs. La matière brute y est bio, l’achat s’effectue quasi sans intermédiaire et il n’existe pas de « travail abusif d’enfants ».
Ensuite, la fève est torréfiée, broyée à Schwytz puis transformée en petites pistoles qui servent de base aux recettes. David s’est lié avec trois villages capables de lui fournir, quels que soient les aléas climatiques, les 20 tonnes annuelles nécessaires à « L’instant chocolat ». En clair, toute la région péruvienne de Las Lomas (« Les Collines ») œuvre pour une chocolaterie basée à Crans-Montana !
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Fin octobre, le labo commence à préparer les fêtes de Noël. Conservé à 14 degrés, le chocolat garde ses saveurs et ses qualités sur plusieurs mois.
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En production d’un de ses musts (1 tonne vendue par an !) dont il vient de revisiter la recette. « On y croit, la qualité sera supérieure…»
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Ses premiers clients lui disaient vouloir plus de noisettes dans les tablettes : message reçu cinq sur cinq !
Légende photo : Arrivé au début des années 90 sur le Haut-Plateau, David Pasquiet est devenu une sommité dans l’univers du chocolat. Ses profs le considéraient comme un cancre et pensaient qu’il n’arriverait à rien dans la vie. © Luciano Miglionico
EN CONNAÎTRE UN RAYON SUR DAVID
David Pasquiet œuvre d’abord derrière les fourneaux du Restaurant des Îles à Sion. Il suit, en 1991, son chef cuisinier au Crans Ambassador. Avec son épouse Virginie — « qui est une vraie cheffe d’entreprise » —, il reprend en novembre 2005 la boutique du nougatier Stauss à Montana. Ne connaissant rien au chocolat — « Je suis parti de zéro de chez zéro » — il se lance en autodidacte et dessine lui-même le logo de sa marque. En un clin d’œil, il devient Meilleur Chocolatier de Suisse (janvier 2013) puis se glisse dans le Top Ten des Meilleurs Chocolatiers du Monde (octobre 2013) ! Au
premier magasin de Montana s’ajoutent un deuxième à Sion, puis un troisième à Vevey. L’an 2019 marquera l’ouverture d’un quatrième. David en profitera pour descendre son laboratoire à Daval, dans la zone industrielle de Sierre. « Je passe de 100 à 800 m2, car mon équipe a besoin de plus de place. J’ai vraiment cherché, avec l’aide des présidents de la région, quelque chose à Crans-Montana. En vain. » David reste fidèle comme exposant au Salon Choc Altitude — qu’il a initié — et à sa nouvelle édition de mars 2019.